A l’occasion du Festival Lumière qui s’est déroulé du 15 au 22 octobre 2022, Monica Bellucci nous a fait l’honneur de sa présence en tant qu’invitée d’honneur, aux côtés de Tim Burton qui était le grand Prix Lumière de cette année. L’actrice de renom est venue en terre lyonnaise pour présenter son dernier film-documentaire, The Girl in The Fountain, réalisé par Antongiulio Panizzi. Dans ce long-métrage, le réalisateur lui demande d’incarner l’actrice Anita Ekberg, icône du cinéma connue pour sa mythique scène dans la fontaine de Trévi dans le film La Dolce Vita de Fellini. Ainsi, Panizzi montre dans un savant jeu parallélique la vie et carrière d’une icône des années 50, et la vie d’une actrice aujourd’hui, avec Monica Bellucci dans son propre rôle.
Entretien avec Monica Bellucci lors d’une table ronde avec Lyon Mag, Lyon Femme et Versus Magazine.
1. Lorsqu’on vous propose le rôle d’Anita Ekberg vous êtes à la fois surprise et émue. Pourquoi cette réaction ? Que représentait-elle pour vous ?
Dans le film on utilise ce qui se passait vraiment dans la vie. Quand on m’a proposé le film je me demandais ce que je faisais là. Elle, cette femme si nordique, et moi si méditerranéenne. Ensuite, j’ai cherché à comprendre les similitudes que je pouvais avoir avec elle dans le cas où je ferai le film. Je venais du monde de la mode quand j’ai approché le monde du cinéma et je sais les a priori que j’ai dû vivre au début. Avoir un certain physique créé de la curiosité mais ça ferme aussi beaucoup de portes. Il a fallut que je fasse un certain parcours pour avoir accès aux films que j’ai fait ensuite.
Moi je pense que j’avais beaucoup de curiosité, de passion. Quant à Anita Ekberg, elle avait vraiment beaucoup de courage comme elle le dit souvent. Elle ne parlait pas anglais quand elle est partie de Suède pour aller à Los Angeles. Là-bas elle a appris l’anglais, puis elle est arrivée à Rome où elle a appris l’italien. C’était sûrement une femme très douée avec beaucoup de talent mais c’est comme si cette beauté était un masque qui cachait tout ça, qui l’a emprisonnée jusqu’à la fin parce qu’elle n’a pas eu la possibilité d’évoluer. Ce film est intéressant car ce n’est pas qu’un film-documentaire, c’est un document sur une époque. Une époque où cette femme arrive dans une Italie très créative d’un point de vue artistique, avec beaucoup de productions de cinéma. Elle est arrivée comme une tornade avec cette blondeur, cette beauté si indépendante, en comparaison avec les femmes de l’époque qui ne sortaient pas de la cuisine et vivaient une vie domestique. Elle a cassé les codes.
2. C’est ce que vous évoquez : c’est une femme libre et indépendante mais c’est comme si finalement elle avait vécu dans une sorte de prison, elle était enfermé dans son personnage de La Dolce Vita. Comment expliquer ce paradoxe ?
C’est une question de choix. Je pense que d’un côté, cette femme est pour nous un exemple. Nous les femmes d’aujourd’hui on a appris beaucoup de ce courage et de cette liberté qu’elle a eu. C’était quand même une pionnière ! Partir de son pays, voyager, apprendre des langues, travailler avec des metteurs en scène… Mais je pense que ce n’est pas le cinéma qui l’a tuée, c’est la vie. Sa beauté était comme une Ferrari qu’elle n’a pas toujours su conduire et la vie lui est passée dessus. Mais malgré tout elle nous a appris à lutter. D’ailleurs, la scène finale dans laquelle je prends l’arc est une métaphore pour dire qu’on a appris à nous défendre à travers elle. Pour voir les belles choses qu’elle a fait, mais aussi les erreurs qu’elle a commises.
3. En parlant de ses erreurs, Anita dit dans le film que ce rôle dans la Dolce Vita a été le pire choix de sa vie. Etait-ce réellement le cas ?
Non… Je pense qu’à un certain moment la vie était devenue amère pour elle. Anita cherchait à trouver un coupable dans le passé. Mais Fellini lui a fait un hommage jusqu’à la fin. Il lui a fait faire La Dolce Vita, Boccace 70, Intervista… Il y a un témoignage d’elle comme actrice jusqu’à la fin. Mais c’est vrai que les femmes à cette époque ne travaillaient plus après un certain âge. Anita Ekberg en fait partie et c’est aussi pour ça que ce film est un vrai document. Il raconte ce que vivaient les actrices de cette époque car même si elles étaient douées, leur carrière était liée à un âge biologique. Par exemple, à mon âge on ne travaillait plus depuis très longtemps déjà.
4. Ce qui est intéressant c’est aussi le parallèle entre la vie d’Anita Ekberg et la vôtre. A la fin de sa vie Anita était malade, elle a sombré dans l’alcool… Tandis que vous, on vous voit répéter dans votre cuisine et avoir une vie un peu plus sereine.
A l’époque, le cinéma était le seul moyen de faire de l’image. Quand on regardait un film, on regardait ces femmes à l’écran en pensant que c’était elle dans la vie. Aujourd’hui, les comédiennes on les voit faire les courses, avoir des enfants… A l’époque on disait qu’il ne fallait pas avoir d’enfant parce que si tu en avais tu n’étais plus une femme désirable. Tu devenais une mère aux yeux du monde. Il y avait des codes précis qui n’existent plus aujourd’hui. On peut être une femme et une mère. Tout a changé, et c’est pour ça que ce film est important.
5. La scène pendant laquelle vous faites la cuisine en répétant le texte d’Anita… Elle est glamour. Car vous faites un exercice tout à fait banal : vous cassez des oeufs dans un plat. L’actrice et la femme se rejoignent.
Oui, mais c’est un jeu. Ca veut dire qu’il y a aussi la vraie vie. Quand Anita vivait sa vraie vie, c’était quand même une image. Tout est une image. Aujourd’hui, on sait la différence entre l’image et la vie et on y a accès d’une manière différente avec les réseaux sociaux. Là-bas, on peut se créer une image en quelques secondes. On peut s’inventer une vie sur Instagram qui n’est pas vraie et faire croire à tout le monde que tout est merveilleux.
6. Comment on trouve cet équilibre entre l’actrice, l’image et le personnage ?
Parce que ça c’est le film, et après il y a la vie. Moi, je cherche à me protéger, à avoir mon jardin secret. Ensuite on fait des films, on fait la comédienne et on crée l’illusion. Nous on est des femmes de spectacle. On crée quelque chose qui n’existe pas.
7. Aujourd’hui est-ce que la diva, la femme fatale, existe toujours, finalement ? Et si oui, qu’est-ce qu’une femme fatale aujourd’hui ?
Etre une femme fatale c’est une grande responsabilité. C’est une femme qui crée une image adorée de tous et c’est quelque chose de très lourd à porter. C’est une image figée dans le temps, alors qu’en ce qui me concerne je veux être comédienne et changer dans le temps, comme je change dans la vie. En tout cas, l’idée qu’on se faisait des femmes fatales dans les années 40 ou 50 n’existe plus. On ne perçoit plus ni les actrices, ni le cinéma de cette manière. Anita Ekberg est rattachée à cette image, mais regardons la positivité de cela : il y a des actrices qui font plein de films et on ne se rappelle d’aucun. Elle, à travers cette scène, on se souviendra d’elle pour toujours dans l’éternité.
Photo de couverture : ©Festival Lumière / Affiche The Girl In The Fountain de Antongiulio Panizzi. Monica Bellucci.